Mais que reproche-t-on à Stella Nyanzi ?

Je commence ce billet en vous épargnant une recherche Google: Stella Nyanzi c’est l’activiste ougandais qui a été récemment jeté en prison. Son crime ? avoir traité Yoweri « M7 » Museveni de « paire de fesse » et sa femme Janet de « cerveau vide ». En droit je crois que l’on appelle cela de l’Offense au Chef de l’Etat (et à son épouse). Vu que l’affaire est en cours d’instruction on ne va pas s’attarder sur elle mais plutôt se poser la question de la précédence de ces faits. Car si il fallait incarcérer tous les africains qui avaient un jour pester contre le Président et/ou sa compagne, tout le continent serait en prison.

L’humour est un trait de caractère universel et fatalement nous en sommes aussi doté. Du coup, tout africain, peu dépend son pays a déjà été auteur ou témoin d’une bonne boutade ayant pour tête de turc le Président de son pays. Ceci était valable à l’époque des « héros » nationaux à qui l’ont doit l' »indépendance » et reste également valable aujourd’hui que militaires reconvertis ou non, autodidactes et autres technocrates ont pris le relais. Ce qui varie d’un pays à un autre c’est le degré d’hypocrisie qui existe par rapport à cet humour. Je m’explique il existe des pays où même prononcer le nom du Prézo vous mène à la prison sans passer par la case départ. Par opposition, il existe d’autres pays où vous pouvez blaguer en famille, dans un bar publique ou même dans les journaux en citant le nom du gars ( ou de la go, ne soyons pas sexistes). Je me souviens avoir été choqué par l’aisance que je voyais chez les camerounais de Yaoundé quand ils parlaient de « Popol« . Il faut dire que je venais d’un tout autre contexte. De même je suis (positivement) impressionné par la liberté des caricaturistes du Gabon ou de Cote d’Ivoire. Ceux-ci sévissent « impunément » dans les journaux et sur la toile sans (trop) craindre pour leur sécurité.

Ces pays ne sont hélas pas la légion et pour les autres on évite de s’amuser à ce petit jeu. L’égyptien Bassem Youssef en sait quelque chose. Lui et d’autres chroniqueurs politiques démontrent que les gens ne sont pas idiots et peuvent même dans les circonstances les plus pires faire preuve d’un humour décale ou féroce. Mais alors pourquoi les « victimes » des ces blagues prennent ils la mouche aussi facilement ? La raison la plus simple est parce qu’ils ont tellement de pouvoir que un simple éternuement de leur part entraîne des conséquences graves. Il y a aussi le fait que le concept d’humour politique n’est pas fortement encré dans les meurs locales. Et ce n’est pourtant pas par manque de matière première. Les shows satiriques étrangers, par exemple, sont suivis et appréciés au bled avec un assiduité qui m’étonne. Que ce soit les Guignols français, le Daily Show américain et leurs pendants kényan et Sud Africain: tous ont bonne presse et ne sont jamais bloqués. Mais dès qu’il s’agit de politiciens locaux on siffle la fin de la récréation.

C’est ce dernier élément qui m’a mis la puce à l’oreille. Voyez vous, même avec la plus grande volonté du monde on ne peut connaître personnellement et complètement un politicien au pouvoir. Donc ce que l’on retient de lui ce sont de grandes lignes, des clichés. Et c’est cela qui est moqué. Le Président est grand on moque sa taille, il est gros on moque son ventre. Le Président aime les femmes on moque ses frasques, il est vieux: on moque le grand age du « Mzee« . En somme, la « victime » ne devrait pas se sentir personnellement attaquée vu qu’elle existe au delà de ces clichés. Mais c’est le contraire qui se passe. Toute blague est prise au premier degré et personnellement comme si c’était entre deux adultes qui sont rivaux depuis la maternelle. Pourquoi un politicien élu va donner de l’importance à un tweet ou un post Facebook ? Parce que en fait il y a très peu de joueurs sur le terrain. L’espace publique du bled est occupé par très peu de personnes. A tel point que une blague bien placée suffit pour donner à son auteur une visibilité soudaine et absolue. Il entre de ce fait en conflit frontal avec l’esprit de village que défendent bec et ongles les dirigeants du bled. Tu peux critiquer le Chef en privé mais ne t’amuse pas à le ridiculiser sur la place du village devant tous les six connétables.

Il s’avère donc que le seul moyen de libérer notre créativité comique, et au passage notre liberté d’expression, est de s’attaquer à cette logique de village ou à son mode de fonctionnement. Dans le cas contraire, nous autres blédards sommes condamnés à endosser un rôle d’hypocrites notoires qui montrent les dents aux puissants mais les cassent allègrement dès qu’ils ont le dos tourné.

*Paix dehors !*

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