A quoi ça sert (1): La Diaspora ?

Suzanne-Kala-LobéLa semaine dernière un pavé a été jeté dans la marre de la vie tranquille que mène la communauté camerounaise hors du Cameroun. Je ne parle pas ici du n-ième voyage de Paul Biya en France mais plutôt de la lettre ouverte de Suzanne Kala Lobé à la Diaspora de son pays. Pourquoi revenir sur cette lettre? Parce qu’au delà de la diaspora camerounaise cette lettre ouverte est un signal fort envoyé à toutes les diaspora du bled.

Tout d’abord, Mme Kala Lobé, permettez-moi de m’adresser à vous. Si j’ai l’inspiration et la volonté, je n’ai ni votre aura et encore moins votre plume. J’aurais aimé pouvoir écrire votre lettre en utilisant mon clavier, tellement je trouve que vos arguments touchent et font mal là où il faut. Comme le dit si bien Ti Aya dans son blog, votre lettre ouverte, c’est une nouvelle donne, un souffle nouveau dans une diaspora, toute nationalité confondue, qui se sclérose en ressortant une variation du même discours depuis maintenant plus de 30 ans.
Pour les non-camerounais qui découvrent cette lettre, n’hésitez pas à la lire dans son intégralité, Faites fi des mentions spécifiques au Cameroun ou, mieux, remplacez-les par les adjectifs et noms qui qualifient votre bled et vous verrez que le texte vaut le détour. En résumé, Mme Kala Lobé pose une série de questions pertinentes aux expatriés en leur demandant, entre autre, de se remettre en question par rapport à leur vision du bled et aux moyens qu’ils mettent en œuvre pour  l’aider à changer, à évoluer.
Ce que j’ai trouvé intéressant dans les critiques et les contre-arguments à la lettre de Mme Kala Lobé, ce n’est pas tant qu’on la critique sur le fond, son constat semble donc être pertinent, mais plus sur les formes. « qu’entendez-vous par diaspora? on est pas tous pareil, mon voisin fait ça mais pas moi 🙂  » Voilà en résumé ce que l’on a à reprocher à l’argumentation de la journaliste. Preuve que son propos a fait mouche et que les contre-arguments ne font qu’entériner le constat accablant dresser par Mme Kala Lobé.

Bien sur, comme dans tout argumentaire, si l’on va dans les détails, tel ou tel point peut-être remis en question ou son importance peut-être relativiser. Mais, dans l’ensemble, moi qui suis expatrié, je souscris sans réserve au constat dresser par Mme Kala Lobé. Mais alors, à quoi sert la diaspora ? Si je suis d’accord avec le constat de la journaliste, ses réponses ne me satisfont pas entièrement. Oui les expatriés sont généralement à côté de la plaque sur le plan politique du bled, en cela ils se rapprochent trop souvent des opposants… sans doute parce que la plupart du temps, les opposants sont des expatriés 🙂 . Mais le retour périodique au bled, suggestion de la journaliste camerounaise, ne résoudrait rien (en plus cela représente un budget colossal, je ne sais pas si Mme Kala Lobé s’en rend compte 🙁 ) . Mon avis à ce sujet est différent.

Un expatrié est un investisseur, une banque du bled. En enrichissement au passage Western Union, il participe au développement du bled en envoyant de l’argent à ses proches rester sur place. Les expatriés sont donc des petits porteurs d’action en bourse. Leurs bourses ne s’appellent pas Wall Street mais Cameroun, Mali, Algérie. Chaque cent que nous envoyons au bled représente des mois de labeurs en occident et en tant que tel,  nous devrions demander, que dis-je, réclamer une bonne utilisation/gestion de nos fonds. Et, tout paramètre pouvant affecter cette bonne utilisation au bled (politique, sociale, économique) représente un frein non négligeable à notre investissement.

Vu sous cet angle original, c’est aux blédards de nous rendre compte, de nous fournir une justification valable pour l’utilisation  de nos fonds et c’est à nous de conditionner l’octroi de nos aides/fonds à des résultats concrets sur le terrain. Nos taux d’intérêts seront toujours plus faibles que ceux pratiquer par la banque mondiale ou le FMI et généralement on n’exigent jamais le remboursement de notre mise. Non, ce que l’on veut c’est simplement voir la contribution de nos fonds dans le développement du bled … et c’est tout.
Le problème c’est que généralement, ce sont des proches qui utilisent nos fonds et les expatriés s’en prennent sans doute maladroitement aux politiques car ils ont la couardise de ne pas demander des comptes à leur famille. Si ils venaient à le faire, ils seraient obliger de réagir en banquier qu’ils sont, sans le savoir. C’est-à-dire, soit ils seraient contraint de réclamer les sommes investis, soit ils n’investiraient simplement plus au bled.
Si il y a bien un levier pour faire bouger le bled, en voila un qui est facilement utilisable et qui feraient de nous, non plus de simples expatriés spectateurs impuissants d’un film écrit par d’autres mais des expatriés avec enfin une place, un rôle qui compte.

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6 Commentaires

@LPN
Quand je te lis, je me dis :  » Les expatriés sont donc des petits porteurs d’action en bourse. Leurs bourses ne s’appellent pas Wall Street mais Cameroun, Mali, Algérie, …C’est mieux que ne servir à RIEN, en effet ». Mais, il y’a à mon avis deux aspects qui entravent sérieusement le développement d’une telle démarche:

Primo, le phénomène de « la générosité familiale du blédard » que tu as toi même décrit avec finesse dans un billet précédent.
Il faut être clair: ce phénomène ne touche pas que le blédard du bled. Il touche encore plus le blédard que la diaspora, qui fréquemment traine un lourd bagage de culpabilité refoulée et non avouée qui, verbalisé, donnerais un truc du genre  » ma famille souffre au bled alors que moi j’ai la chance de vivre ici, bien au chaud… »
Conséquence, quand le blédard de la diaspora fait un WU à la famille du bled, il le fait fréquemment par devoir morale : L’aide désintéressée à la famille du bled devient ainsi quasi dogmatique pour de nombreux blédard de la diaspora. Conséquence, on ne songe pas un instant à avoir une vision plus axé « investissement calculé avec compte rendu exigible » au bled! Ce serait un sommet de mesquinerie, avec tout ce qu’ils (la famille du bled j’entends) endurent déjà au quotidien.

Deuxio, Il faut de tenir compte d’un phénomène encore plus nocif à mes yeux : « le complexe du blédard expatrié qui veut montrer aux blédards restés au bled qu’il à réussi chez les blanc ». C’est une plaie, qui justifie de nombreuses dépenses irraisonnée au pays. Ces dépenses visent surtout à taper à l’œil, à impressionner à faire envie, à bénéficier d’innombrables atalakou, et nombreux, sont les blédards de la diaspora qui font des économies pendant toutes l’année, pour s’offrir ce « plaisir » déplorable. Dès lors, ou trouver l’argent et le temps d’investir intelligemment, quand on ne pense à montrer que l’on à réussis en Occident ?

Bref, ta proposition a à mes yeux une faiblesse essentielle : Elle suppose un changement de mentalité au niveau des individus, ce qui est très problématique, car cela reviendrait à refaire l’éducation de toute la diaspora pour lui expliquer comment bien envoyer SON argent à SA famille resté au bled… très très délicat.

Mais alors, comment faire? Je ne sais pas, mais un début de réponse est sans doute donner par Mme Kobela, quand elle dit: « Exprimez-vous! Mais n’oubliez pas de réactualiser vos paradigmes et soyez un peu plus imaginatifs »
Or ce que tu proposes, c’est un pis aller, même comme, je le dis une derniere fois, c’est mieux que rien….

donc si j’ai bien capté, à la question:
A quoi sert la diaspora ?
la réponse devrait être:
A envoyer de l’argent au bled mais en demandant des comptes à celui que le reçoit. Et ce que font les gouvernements, à la limite, on s’en fout!
suis-je correct ?

@Pec non, ils deviennent des investisseurs privés auxquels des projets privés devront rendre compte. Et au plus il y aura de projets privés au plus la pression exercé sur le gouvernement, quel qu’il soit sera telle qu’il sera forcément obligé d’écouter et d’évoluer. La où les mots et la pression médiatique ne fonctionne pas le rapport d’argent de force fonctionne 😉 .

@Jikeb je suis d’accord avec toi.. tu sais, sauf que moi je suis un éternel naïf positif dans l’âme 😉 . Donc pour le point 1 je table sur une évolution des expats.. avec la crise financière ils vont réfléchir à 2 fois avant d’envoyer l’argent et qui sait commencer à demander des comptes.
Et pour le deuxième point, là aussi avec la crise, les « showmen » vont se faire rare au pays, du moins je l’espère. A trop faire miroiter des choses qui sont fausses les expats ont perdu de leur superbe au bled et tant mieux!! Il ne suffit pas d’être un expat pour être le messie au bled, il faut désormais justifier de sa valeur ajoutée et là on verra qui est qui comme on dit.

Mettre la diaspora au meme rang que des investisseurs privés, c’est prétendre qu’ils sont capables de parler d’un seul homme. Ce qui est loin d’etre le cas.
Ensuite les investissements sont à portée familliale. Depuis que j’envoie de l’argent au bled, c’est toujours à la famille ou à des amis.
J’ai jamais envoyé de l’argent au maire (par exemple) de la ville où résident mes parents en lui disant, bon, Mr le Maire, voici ma quote-part pour la construction du pont là. Bats-toi avec et donne-moi les comptes après.

J’ai une histoire (vrai).

Elle concerne un immigré Portugais il y a 30 ans.
il avait fait un choix : celui de vivre plutot confortablement en France.
La contrepartie de ce choix : lorsqu’il revenait au bled (le Portugal dans le cas présent) il n’avait pas de quoi « flamber » contrairement à ses petits camarades en France comme lui mais qui économisait sous après sous en partageant un pauvre appartement à 10.
Sa mère lui disait souvent : mais pourquoi tu n’as pas réussi comme paolo, comme josé , regarde les belles voitures qu’ils ont.
Il ne répondait pas, comme expliquer cela à sa vieille mère, il ravalait sa fierté et encaissait sans broncher.
Un jour, il a fait venir sa mère en France. Le Dimanche après le repas du midi, il a dit à sa mère : tiens on va aller faire une visite à José et paolo … après cela plus jamais sa mere ne lui a demandé pourquoi il n’avait pas « reussi »
aujourd’hui, cet homme, Fernando, est revenu au pays ou il a une entreprise qui marche plutot bien. Ses deux enfants ont fait des études universitaires et ont des jobs plutot bien payé …
a-t-il réussi sa vie ? je crois que oui, mais pendant des années il a du ravaler sa fierté !
JJ

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