Il fut un temps où dans la plupart des sociétés africaines, il fallait séjourner dans la brousse, ramener cornes de rhinocéros, dents de léopard ou avaler coctions des plus ragoûtantes pour passer du stade d’enfant à celui de jeune adulte. Puis, au fil du temps, s’est vue développée une notion jusque là extrinsèque à ces sociétés : la jeunesse africaine. Seulement, cette dernière est encore à l’heure actuelle, tellement précoce qu’elle n’a véritablement pour africain que le nom, et ce ne sont pas les ressortissants des générations précédentes qui contrediront.
Nous avons déjà tous plus ou moins relativement vécu la scène de la mère qui court derrière son fils en lui priant de remonter son pantalon et d’arrêter de marcher comme un handicapé. C’était (c’est ?) le phénomène « baggy » tout droit importé des États-Unis, où il prend son origine dans la culture noire américaine. Il va sans dire que si le phénomène concerne la jeunesse mondiale et est à considérer comme un simple « effet de mode » au même titre que le mouvement hippie ou « tecktonik », il revête pour beaucoup de jeunes africains, un sens plus profond. Je parle de ceux pour qui il constitue bien plus qu’un simple style musical et vestimentaire ; ceux là même pour qui Barack Obama est apparu, non pas uniquement comme une source d’inspiration, mais presque comme LEUR président ; ceux là même qui s’offusquent en voyant des blancs « qui veulent faire les re-nois en s’habillant kainry » (qui veulent faire comme les noirs en adoptant le style « Hip Hop »)… Vous l’aurez compris, je fais là allusion à tous ces jeunes africains et africaines, qui vivent leur jeunesse par procuration à travers les jeunes noirs américains qui illustrent à leur yeux la « jeunesse noire idéale ».
En effet, l’influence de cette culture noire américaine, sur ces nouveaux jeunes africains que nous sommes, est telle qu’on a assisté à l’immersion de ce que l’on peut qualifier « d’américano-africains ». Cette emphase désigne ces gars et filles qui balayent volontairement d’un « nous les noirs », ces siècles de l’Histoire qui aboutirent à la distinction entre « africains », « afro-américains » et « afro-caribéens ». Beaucoup sont ces jeunes qui « squattent » en effet l’image des afro-américaines, s’identifiant à ceux-ci, en se rassurant avec des phrases toutes faites telles que : « le rêve était africain, les moyen américains » (cf. Groupe de Rap Mafia K1fry). Les modèles sont Martin Luther King, Malcom X, Angela Davis et Rosa Parks. Et les mots Lumumba, Sankara ou encore Nkrumah vous renverront sans aucun doute un « à tes souhait » vous donnant l’impression que vous vous exprimez en chinois. On bouge notre « bobaraba » sur les sons de Dj Arafat, Fally Pupa et consort, mais ils sont loin de remplacer les posters de 50 cent, Jay-Z, Rihanna et compagnie dans nos chambres. Le boubou est réservé aux fêtes traditionnelles, où il faut faire double face vis-à-vis des anciens, et leur montré qu’on n’oublie pas l’Afrique même si, presque tous les regards sont tournés vers les « States », où cette notion de réussite, d’argent facile séduit, car aux « States », même la misère et la violence « ont du style » comme l’illustrent les pseudos-imitations du ghetto et autres symboles du côté sombre de la culture afro-américaine que l’ont retrouve dans la culture de la rue en Afrique ou dans les banlieues françaises.
Un exemple avec la danse logobi
Bien heureusement, toute la jeunesse africaine n’est pas adepte de la politique du « mon frère » et il y a tout de même une bonne portion qui sait tirer profit de cette omniprésence du géant américain, en sachant faire la part des choses, c’est-à-dire en le considérant comme modèle, source d’inspiration. Ainsi, nombreux sont ceux pour qui intellectuels et personnages américains précédemment cités constitue des véritables moteurs, et le Hip hop est aujourd’hui dans beaucoup de pays d’Afrique noire, le moyen le plus expressifs pour les jeunes africains comme c’est le cas au Cameroun et au Sénégal par exemple.
C’est sûr, l’américanisation n’est pas généralisée dans la jeunesse africaine. Mais l’influence de la culture noire américaine sur les jeunes africaines est synonyme d’une bien triste réalité, qu’on évoque pourtant peu lorsque l’on aborde l’histoire de l’Afrique : l’impact de celle-ci sur la génération d’aujourd’hui. Il paraît évident que nous jeunes africains, voyons en ces afro-américains, ces noirs qui se sont battus et on défendu leur culture : « black is beautiful » ; et en nos ancêtres africains, ceux qui n’ont pas su lutter face aux occidentaux. Et l’image de l’Afrique que donnent les médias n’arrange pas le tout. La place qu’occupe aujourd’hui la culture noire américaine dans la culture jeune africaine révèle un vrai complexe d’infériorité qui pousse certains jeunes à croire qu’ils ne disposent pas les ressources nécessaires pour se construire une identité dont ils puissent être fière.
Alors en attendant qu’une Rihanna ou un Jay-Z daigne bien enfiler un boubou et vanter les mérite de la jeunesse africaine, il faut faire face à une jeunesse en proie aux cultures américaines, arabes, et plus récemment françaises.
Et pour finir, je citerai ses propos de Rama Yade, qui aurait pu être les miens :
Beaucoup de jeunes Afro-Antillais sont perdus entre la culture de leurs parents et leur nationalité française. Alors, ils se réfugient dans une identité bricolée et souvent une identité américaine, car en Amérique, « black is beautiful ». Mais on ne peut pas réduire son identité à une couleur de peau ! Avant de vivre en France, je ne savais même pas que j’étais Noire. Je ne me dis pas non plus que je dois en être fière ou que je dois en avoir honte. En fait, s’il y a une spécificité dont je suis heureuse de me réclamer, c’est mon origine africaine. Mais, contrairement à moi qui y suis née, les jeunes Noirs ne connaissent pas grand-chose de l’Afrique, si ce n’est les drames du continent dont les abreuvent les journaux télévisés. De fait, ils ont du mal à assumer cette part africaine si dévalorisée par les médias. Ou bien, ils veulent racheter la dignité blessée du continent africain et en font trop, notamment en survalorisant leur côté africain.
Vous pouvez lire d’autres billets de blingcool sur son blog, Blingcool:le blédard (tiens tiens 😉 ) et le suivre dans ses pensées via ses tweets qui valent à eux deux largement le détour. J’en profite pour le remercier de nous avoir accordé un peu de son temps pour pondre un billet pleins de réflexions. – Lepetitnegre
Un commentaire
Pec
Très bon papier pour un très bon sujet, le nouveau. continue comme ça. Ceci dit, Rama Yade se dédouane bien: C’est facile de faire la part des choses quand on a passé tous les mailles du filet pour représenter la République. J’ai souvent eu à discuter de ce sujet de l’identité des jeunes blédards hors bled. J’ai un jour assisté à une réunion avec un éducateur jamaïcain de Londres qui était radical: Le problème est que l’on veut trainer pas 150 identités mais deux et d’après lui, ce n’est pas possible. Il faut arrêter avec nos conneries de blédards (comprends le boubou, le respect aux traditions) et devenir de très très bon européens… Je précise que ce n’est pas mon point de vue mais c’est un point de vue intéressant et motivé. Ceci dit, je ne sais pas comment mener les choses pour les petits blédards au bled qui connaissent grâce aux satellites (vive la mondialisation!) mieux le top 50 US que le dernier Freshlyground