Enfin, quand je titre « la manifestation » j’entends bien La Manif’ en français dans le texte. Il ne s’agit pas de disserter sur une quelconque apparition divine mais bien sur ce mouvement de foule qui vise à clamer haut et fort en s’appuyant sur la puissance du nombre une revendication. Vu que les français, champions mondiaux toute catégorie de l’exercice viennent de me gâcher deux semaines de business, je vous préviens tout de suite que ma revue du phénomène sera salée.
La manif’, qui est l’expression d’un coup de gueule lié à un ras-le-bol par rapport à une situation donnée, est un phénomène paradoxale en soit. le paradoxe résidant principalement dans le fait qu’il y a autant de personnes énervées de part et d’autre des barricades. D’un côté, les contestataires et de l’autre, les usagers et ou les contestés qui se retrouvent perturbés dans leur train-train quotidien. Je ne m’attarderais pas sur les pays du nord où la chose a été codée voire institutionnalisée à tel point que cela est quasiment devenu une obligation voire un fête récurrente dans le style d’une « Love Parade » ou d’un « Carnaval de Notting Hill ». Non, concentrons nous, si vous le voulez bien sur le bled … encore une fois.
En règle général, les êtres humains ont horreur du changement. Toute nouvelle loi ou règlement est systématiquement rejetée dès sa sortie peut importe le sujet. Ce n’est que par après, en fonction de l’importance du changement perçu que les politiques qui tiennent a être réélus se décident ou non d’en atténuer l’impact. J’ai cependant constaté que la plupart des pays du bled interdisent purement et simplement les manifestations. Qu’à cela ne tienne, le temps aidant, l’augmentation notable du nombre de blédards vivant au nord a entrainé une exportation des manifs qui auraient du naturellement se tenir au bled dans les pays occidentaux. Certains quartiers et artères de Londres, Paris ou Bruxelles en savent quelque chose. Ce que je trouve parfois triste dans cette exportation blédard et que ces mouvements bien que légitimes sont parfois menés par ceux là même qui s’opposaient au droit de manifester alors qu’il étaient au bled. Pire, certains des plus fervents pourfendeurs de manifs du bled sont eux même d’anciens manifestants.
En 2009 le gouvernement de Guinée suspendait le droit de manifestation (source)
Il est vrai que, au départ, les manifestations étaient me semblent-t-il totalement interdites voir illégales au bled. Mais alors que dans les pays du nord ce droit de manifester son mécontentement a été acquis de haute lutte, nous les blédards somme restés sur un statu quo, et ce n’est pas que le manque de sujets contre lesquels pester qui faisait défaut.
Par la suite l’autorité a observé le déroulement de la chose à l’étranger et a daigné reconsidérer sa position. Dans certains pays elle est même allé jusqu’à abroger l’interdiction. Toutefois, cet arbitre totalement partial en a profité pour coller strictement au nouveau texte: toute manif devra faire l’objet préalable d’une autorisation de l’autorité compétente. Cette autorisation n’est évidement jamais accordée ce qui nous ramène au point de départ. La conséquence est que avec le temps, les blédards se sont résignés et ont entériné le fait que manifester ne sert à rien. De son côté, l’autorité vit dans l’illusion qu’il est toujours dans le bon puisque aucune de ses décisions, même la plus radicale, ne souffre de contestation.
Mais ces dernières années, j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’observer le serpent se mordre la queue (no homo). En effet, les médias montrent de plus en plus de rassemblements de blédards, au bled, pancarte en main, défilant tel un seul homme au vu et au su de la police locale. Un bref instant, j’ai eu peur que tout cela finisse dans un bain de bleus et de sang et puis la réalité m’a sauté au yeux en parcourant les textes des pancartes. Au bled, on manifeste pour soutenir l’autorité, ses réformes et ses positions même les plus controversées. C’est donc « spontanément » que l’on se lève, que l’on quitte ses champs et son bureau, que l’on griffonne sur une énorme banderole (ndla: de préférence en anglais et/ou en français) et que l’on va faire le tour du quartier des ambassades et des plus belle artères de la capitale. Pourquoi là et pas ailleurs ? Parce que c’est là que réside le représentant du destinataire principal à qui sont adressés ces messages, j’ai nommé l’étranger 🙂 . Et c’est ce qui sauve le parfum contestataire de ces mouvements de foules « illégaux tolérés ».
De fait, la nature même d’une manif évolue donc en fonction de où, quand et comment celle-ci se déroule. Au bled, manifester à titre personnel est perçu comme un acte politique publique de défiance de l’autorité: et ça on n’aime pas beaucoup. Et les syndicats me direz vous? Oui, il y a le cas de la Guinée, mais c’est l’exception qui confirme le manque de force et d’organisation syndicale mais je m’arrête ici car je commence à prendre un vilain accent trotskiste moi, surtout que je dois vous parler du droit de grève la prochaine fois 🙂 .