Regarder les infos de 20h ce n’est pas censé être un moment de détente. Mais c’est un passage obligé lorsque l’on veut garder le contact avec la réalité en dehors du cycle métro-boulot-dodo. Je m’efforce donc de les regarder régulièrement surtout que mon nouveau job ne me permet plus de suivre le flux des infos en temps réel sur internet. L’autre jour je tombe sur le reportage sur un nouvel asseau lancé par les blédards contre la palissade qui entoure Melilla, l’enclave espagnole située au Maroc. Impossible de détourner le regard, je serre le dents et j’encaisse les images choc. Le lendemain j’interroge bledard et bibloss et … rien ! Melilla c’est loin. J’interroge mon réseau du bled et pareil: Melilla c’est loin, très loin.
Pour le 600ème billet posté sur le blog nous avons choisi de traiter d’un sujet pas facile: celui des migrants blédards qui forcent la porte de l’Europe. Si mon introduction laisse à penser que tout le monde « s’en fout » il n’en est rien: tout le monde « à l’air de s’en foutre ». En effet nous avons tous une petite voix dans notre subconscient qui pose la question « Pourquoi tout cela? » et qui se dépêche de s’enfuir car elle sait que la réponse va nous faire mal quelque part. Car il ne faut pas s’en caché la question qui est posée (et parfois répondue) par les médias est surtout « Comment ? ».
Ce qui m’a personnellement marqué la première fois que j’ai vu les images de Melilla c’est qu’elles faisaient écho à un discours subversif que j’avais entendu il y a 25 ans. J’étais alors un petit écolier dans une autre Afrique avec un peu moins de conflits armés et une pression démographique moindre. Lors d’un cours un prof expatrié français avait jeté le pavé dans la marre. Il avait fustigé les pays européens qui avaient contribué à créer une classe grandissant de personnes aigries au bled et qui allait s’en mordre les doigts « le jour où ils viendront s’écraser contre les mûrs qu’elle (l’Europe) aura construit pour s’isoler du Monde ». Je me souviens que avec mes potes ont lui avait rit au nez car nous autres blédards on était trop fiers pour aller mendier dans son Europe alors que l’on avait tout et même plus au bled.
Vingt cinq années sont passées et la macabre prophétie de mon prof de physique c’est réalisé. Pire encore, pour une fois depuis le début de ces événements je connais des jeunes qui sont parmi les assaillants de la forteresse Europe. J’ai eu ce jeune au téléphone après une deuxième tentative infructueuse de sa part. Je lui ai demandé cash le fameux « Pourquoi ? ». Il m’a répondu tout aussi froidement « Parce que je n’ai pas d’autre choix ». Le problème c’est que ce jeune venait de terminer l’Université en même temps qu’un autre garçon qui lui avait pris l’option inverse, celle de donner une chance au bled. Je connais les deux jeunes car ils avaient bénéficié d’un programme de bourse auquel j’avais modestement participé dans le but de « rendre à la communauté » comme on dit chez les américains. Voilà donc où est mon dilemme actuel. Pour chaque jeune qui mange les barbelés de Melilla je connais un jeune du même age et aillant le même bagage sociaux culturel qui a pris le chemin inverse avec la réussite sociale et professionnelle à la clef. Certes ils ne sont pas (encore) devenu les nouveaux Aliko Dangote mais quand je leur rend visite au bled j’ai bien envie de tout plaquer ici et de rentrer tenter ma chance.
Tout blédard et tout bibloss a deux lectures des événements de Melilla. Il y a une lecture personnelle rattachée à la proximité par rapport aux acteurs. Et il y a une seconde lecture plus géopoliticienne qui s’inquiète de voir un continent, l’Afrique, ne pas s’émouvoir de la fuite de sa force vive et un autre, l’Europe, réalisé qu’il n’a pas les moyens de contenir les effets de bord d’une situation qu’il a contribué à créer.