Un film de meufs se déroulant en Afrique ? Cela ressemble à un job pour MastaP, le critique de cinéma intrépide et sans concession. Mes excuses, quand je dis un film de « meufs » je devrais plutôt dire un film de femmes car elles sont à tous les étages: à la réalisation (Claire Denis) , à l’écriture (Marie Ndiaye) et dans le rôle principale (Isabelle Huppert). Je n’ai pas vu White Material ce qui me qualifie particulièrement pour en faire une revue impartiale. A l’assaut.
L’idée générale
Vu de loin on dirait un reboot « Out Of Africa » en version 2010. Pourtant quand on est au fait du « lourd » passé africain de la réalisatrice on doit se rendre à l’évidence qu’il ne s’agit pas d’un conte féérique ou d’une « love story » sur fond blédard. Ce film qui aurait pu tenir du documentaire dramatique suit les derniers instants au bled d’une migrante française propriétaire d’une plantation de café. Derniers jours car ce pays du bled est en période électorale secoué par les prémices d’une guerre civile. Bien sûr, le personnage incarné par Isabelle Huppert s’accroche à cette vie qu’elle s’est crée et à cette terre d’Afrique à laquelle elle s’est attaché. Mais hélas pour elle, le bled ne lui rend pas cet attachement et cherche au contraire à extraire cette « matière blanche » de son noir continent. D’abord par la menace puis par la violence, le bled va tenter de chasser une visiteuse non désirée (vraiment ?) et elle par contre va s’accrocher contre vents et marrées au risque même d’en perdre sa famille et la vie.
La bande annonce de « White Matérial » de Claire Denis.
Le bon
Je ne suis pas familier avec le boulot de Isabelle Huppert mais il y a dans son jeu et surtout dans le ton de sa voix quelque chose d’authentique. On dirait vraiment que c’est une de ces européennes que l’on trouve au bled qui y a trouvé un équilibre au point d’estimer être légitimement chez elle. Cette posture qui consiste à se battre au point de paraitre par certains côtés folle peux choquer par son authenticité pour toute personne qui à côtoyer ce genre de personnage dans la vraie vie. Deuxième point positif, la présence de Marie Ndiaye à l’écriture. Étant à présent habitué à son écriture (j’essaie de venir à bout de son Goncourt: ndla), je félicite le choix de la romancière car elle a une technique et un verbe impeccable. Je la soupçonne d’être à l’origine de ce jeu de mot dans le titre qui, une fois n’est pas coutume, fait passé la couleur blanche comme symbole de souillure. Mais ce qui me fascine chez elle, c’est aussi sa capacité à rentrer dans la psyché des humains et des blédards en particulier et à restituer leur peine, leur douleur mais aussi leur victoire. Dernier bon point, l’univerblédarité du récit: on ne dit pas où l’action du film se déroule donc pas de cliché propre à un pays mais uniquement des dénominateurs communs des bleds qui vont mal. Je tiens surtout à souligner le fait que pour une fois l’hypocrisie blédard/biblos est mise en scène. Les blédards sont tous « gentils » jusqu’à ce que tout bascule et les même gars deviennent soudainement le pire « méchant » de la planète. Serait-ce parce que les blédards sont eux aussi tout simplement des hommes avec tout ce que cela implique comme grandeur et bassesse ?
Le mauvais
Évidement demander à un blédard de trouver des mauvais points à un récit compté dans la perspective d’une européenne c’est se risquer à obtenir des commentaires biaisés. Donc je vais me limiter à souligner que pour la énième fois la perspective 100% blédarde n’est pas présente ici.
En conclusion
Quand elle parle d’un certain bled, la réalisatrice Claire Denis sait de quoi elle parle grâce à une enfance passée au bled (Cameroun, Burkina, Djibouti). Elle s’est déjà penché sur le sujet avec « d’autres yeux », ceux d’un enfant, notamment dans son premier film Chocolat. Ce premier film est d’ailleurs comme un « prequel » de celui-ci car on y retrouve Isaac de Bancholé qui est promu de rôle de « boy » à celui de chef rebelle beaucoup plus contemporain. Comme tout biblos qui a effectivement vécu en Afrique, la réalisatrice évite habillement de donner des leçons aux blédard: c’est le rôle de cinéastes blédards disait Richard Attenborough quand on lui parle de « Cry Freedom« . Il n’empêche que le cinéma est une formidable tribune et la réalisatrice ne se prive pas de sèmer des indices dans les différents personnages qu’elle met en scène à l’attention des spectateurs du nord et du sud. Car après tout, l’Histoire du bled n’est elle pas faite de cette somme de trajectoires individuelles qui se croisent et s’éloignent ?