De la générosité au bled

vieux-noirSi il y a bien une légende urbaine très bien répandue au bled et ailleurs, c’est celle de la générosité des blédards. Cela se traduit par l’incompréhension des blédards qui s’émeuvent régulièrement du sort réservé par la société occidentale aux 4×20 (séniors c’est tellement ringard 😉 ). « Chez nous on a quand même la famille qui fait bien son travail.« .  Hélas, nos amis blédards interprètent mal le sujet, suivez le guide.

Un mien ami m’a dit un jour « la différence entre les blédards et les blancs c’est que les blédards ils connaissent tous les membres de leur famille. » A cela, je souscrivais à 100% jusqu’à ce que je me rende compte qu’il n’en était rien. La vrai différence c’est qu’avec l’évolution de la société en occident, les occidentaux ont eux, via les institutions et l’État, réussi à se décharger d’une bonne partie des responsabilités familiales. Du coup, l’occidental se voyant décharger de pas mal de responsabilités peut en toute quiétude vaqué à ses propres préoccupations personnels.

Si on va au bled, les choses sont radicalement différentes. Il n’y a pas de maisons de repos, il n’y a pas tous les services d’aides à la personne que l’on rencontre en Europe. Et lorsque ces services font défaut, il faut tout simplement que la famille prennent le relais, et là, réside la différence. La famille, pour supporter le manque d’aide venant des institutions, a réussi à intégrer ce devoir et à le transformer en une obligation morale. Ainsi vu, la fameuse générosité blédard perd directement de son charme mais prend alors une autre dimension, sans doute plus terre à terre.

Enfants de la rue à Kampala (source de l’image)
enfants-rue-kampala

Et là, je vois déjà mes fidèles lecteurs affutés leur clavier pour tordre ma théorie au cou en recherchant toutes ses faiblesses. Mais je n’en démord pas avec un autre exemple tout aussi parlant: Les crèches. En occident c’est un problème crucial, un casse tête sur lequel pas mal de gouvernants se sont cassés les dents. Pas assez de places, pas assez de moyens pour financer la construction des crèches. Bref, c’est le sujet du moment. Mais si vous faites 10000km plus au sud, en plein bled, le problème est géré autrement. La famille se charge de l’éducation des enfants, il y a toujours une tantine, une cousine, une sœur venue du fin fond du village pour se charger de cette corvée. Les familles se regroupent et élèvent leurs enfants sous la supervision d’une maman restée au foyer. Les chèches n’existent pas mais le programme de substitution made in blédard est tout aussi efficace.

Vous le voyez ma théorie tiens la route. Et elle tient tellement bien la route qu’avec la déstructuration des familles au contact des villes et de la réalité de la mondialisation, la généreuse et chaleureuse famille africaine ne peut plus assurée sont rôle, ou l’assure avec beaucoup plus de difficulté. Et vous comprenez alors la raison de mon billet. Vu que les structures occidentales sont peu ou pas développés et que de l’autre côté les familles ont de plus en plus du mal à assumer leurs responsabilités, la question est de savoir comment résoudre la gestion des services à la personnes au bled, ou plus simplement, qui au bled pourra s’occuper demain des jeunes et moins jeunes blédards ?

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15 Commentaires

Je pense qu’ en Afrique d’une manière générale , la famille continue de jouer ce rôle, malgré tout..( je trouve qu’il y a trop d’abus d’ailleurs car c’est presque une institution, il n’ y a pas à discuter… mais on va me dire que l’europe a gâté les enfants lol:-) ) , un futur marché à exploiter sûrement…
mais à ce moment là, (comme les docteurs qui quittent l’afrique où on a besoin d’eux pour l’europe) peut être que le problème des nounous et autres auxiliaires de vie se posera …car en Europe aussi c’est un secteur qui « boome » et qui va boomer encore plus les prochaines années…

Au risque de radoter, j’épouse encore une fois en tout point cette analyse.
La pauvreté et l’immaturité des sociétés africaines favorisent les solidarités familiales…et inversement en Occident?
Tu as mis en lumière les limites du système africain, mais l’individualisme à l’occidental est loin d’être parfait. Un juste milieu est à développer

Je ne suis pas expert en la question Horacio, je ne fais que mettre en relief les différentes approches adoptées par les 2 sociétés. Je ne pense pas que la réponse occidentale soit meilleure que la réponse du bled. Je pense simplement qu’il est temps de se pencher sur la question pour, pourquoi pas fusionner les 2 systèmes ou trouver une troisième voie. Bref, c’est un sujet peut-être de peu d’importance aujourd’hui mais qui risque de fortement peser sur le développement du bled demain.

Eh bien je fais partie de ceux de tes lecteurs qui affutent leur clavier.
Disons le d’emblée, tu as tout faux!

Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de maison de repos que la famille se charge de notre 3e âge, c’est parce que la famille se charge de notre 3e âge qu’il n’y a pas de maison de repos.
Prétendre que c’est parce que nos institutions ne font pas le même travail d’encadrement que les institutions européennes que nos familles ont dû prendre le relais, c’est méconnaître une particularité centrale, essentielle de la culture africaine.
En Afrique, la famille ne se limite pas à soi, au conjoint et aux enfants, et le role qu’y joue la famille n’a absolument rien avoir avec l’existence ou la non-existence de quelques institutions que ce soit.
Elle y jouait déjà ce rôle bien avant le contact avec le colon.

Et tu noteras au passage que ceux que tu nommes colons faisaient la même chose que les blédards du temps où ces institutions n’existaient pas. Ce sont les révolutions industrielles qui ont poussées à la création des maisons de repos. Je ne pense pas que ton ami le colon ce soit levé un beau matin et ait décrété de mettre tous ses aïeux en maison de repos, du moins je l’espère 😀
Bref, Ce que je veux dire c’est que le bled vit aussi une révolution en ce moment, lente mais certaine. Donc de toute façon on devra faire face à ce problème. Encore une fois, je ne dis pas que la solution proposé en occident et la meilleure, je dis qu’il faut y songer, comparer et en retirer le meilleur sans en conserver les effet pervers.

@Eddy
LPN à raison, concernant les colons : l’attachement aux valeurs familiales n’est pas une particularité exclusivement africaine. les colons n’ont pas toujours été hyper-individualistes, et dans certains pays tels que l’Italie, il existe toujours des « restes » très marqués d’un attachement profond à la famille élargie. MAIS les choses changent rapidement au bled, les mentalités « évoluent » ou régressent, c’est selon.
Alors, tant qu’a affuter nos claviers, autant le faire pour trouver des réponses à la question poser à la fin de l’article.

Al

Ekie, mais comment vous me tirez dans des débats étrangers à mon propos?
LPN prétend dans son billet que la famille a dû prendre le relais d’institutions défaillantes. J’ai juste répondu que c’est faux.
C’est tout.
Je ne suis pas dans le débat occident-afrique, qui est bien qui n’est pas bien.
Je n’ai pas dit que les occidentaux ont toujours été individualistes, ni n’ai nié qu’ils n’aient (ou n’aient eu) eux aussi des attaches familliales.
Pas d’amalgames très chers.

@Eddy
Donc si je comprends bien, ta critique porte en fait sur l’affirmation suivante : « La famille, pour supporter le manque d’aide venant des institutions, a réussi à intégrer se devoir et à le transformer en une obligation morale ».

Si ce n’est que ça, tu as raison. En effet, les valeurs familiales ne sont pas devenus une obligation morale à cause du désistement des institutions. Je pense que ces valeurs ont « toujours » exister au sein des familles du bled, et ne sont pas apparus en réaction à l’inefficacité des institutions. Cependant, elles sont chaque jour un peut plus distendues, viciés et mis à mal par nos sociétés qui s’occidentalisent maladroitement; et qui plus est à toute vitesse.
De plus, les institutions en place ne font rien pour arranger les choses, ce qui rend ce délitement encore plus alarmant. En quelque mots : Du fait de la misère des populations, ce qui était jadis une saine entraide familiale, se transforme en fardeau gênant, encombrant et insupportable. Voilà pour les faits.
Cependant, cela n’exclus pas qu’il faut réfléchir à des solutions, à cette 3ème voie évoqué par LPN. Alors, que proposons nous, bledardes zé bledars?

Oui Jikeb, c’est très exactement cela.
De plus, je déplore que l’article présente les choses comme si les relations familliales étaient plutôt un fardeau. En tout cas c’est l’arrière-gout que ca me laisse.

Je suis heureux de faire partie d’une famille, avec ce que cela comporte de droits et devoirs familiaux, et je ne vois pas cela comme un carcan. Quand je peux j’aide, quand je ne peux pas, je le fais savoir.

Pour ce qui est des propositions, vous découvrirez les miennes quand je serai élu maire au bled.

Hello

En fait, le problème est pris à l’envers. Si l’on écoute les récits de nos anciens (je suis un toubab) le modèle de société traditionnel occidental n’était pas si éloigné du modèle de traditionnel africain : une famille se composait des grand parents, des parents, des enfants etc, et tous le monde vivaient sous le même toit.
Les adultes avaient la charge à la fois de leur enfant et de leurs parents, trop vieux pour travailler.

Puis est venu l’exode rural, la vie dans les villes, loin de la famille. Cela a conduit progressivement à la mise en place de structures de substitution à la famille (au sens élargi du terme) qui n’était plus à même du fait de l’éloignement de jouer son rôle traditionnel : crêche, retraite, maison de retraite, etc … Bref, pour reprendre les propos de l’auteur de l’article « les occidentaux ont eux, via les institutions et l’État, réussi à se décharger d’une bonne partie des responsabilités familiales. Du coup, l’occidental se voyant décharger de pas mal de responsabilités peut en toute quiétude vaqué à ses propres préoccupations personnels »

Cela a aussi conduit à une nouvelle notion de la famille : la famille ce sont les parents et leurs enfants …
Cela a également conduit aussi à une explosion de certaines valeurs traditionnelle comme le mariage, et l’on en est venu à parler de famille « mono parentale, degré minimaliste de la famille.
Cela a conduit à l’individualisation et sans doute une certaine forme d’égoisme, et à un nouveau rapport à l’argent : chacun est responsable de son propre argent et il n’y a plus de mise en commun.

Cela a eu aussi des effets favorables : ainsi les parents n’ont plus à s’occuper de leurs propres parents et ils ont pu se focaliser sur une seule et unique chose : aider leurs enfants à bien démarrer dans la vie : financement des études, financement du premier appartement et des premiers meubles etc, cela n’a été rendu possible que par la prise en charge collective des anciens au travers du système de retraite (soit dit en passant, cela a également eu pour conséquence l’avénement de l’enfant « roi »).

A l’inverse, un jeune adulte Africain, doit prendre en charge à la fois ses propres enfants et ses parents restés au bled qui le plus souvent n’ont pas pu lui financer ses études.
Si l’on compare deux jeunes, l’un occidental et l’autre Africain, c’est un peu comme si l’on comparait deux coureurs sur la même ligne de départ : le premier à les chaussures derniers cri, et ses parents derrière qui le pousse au départ pour aller plus vite. Le second part avec un sac à dos lourdement chargé (la famille qu’il faut aider) qui le ralentit et il lui faut deux fois plus de force pour arriver au même résultat.

La seule différence réelle entre les sociétés traditionnelles occidentales et Africaine ne sont donc pas les valeurs familiales, il y a quelques différences bien sur, mais elle ne sont pas fondamentale. La seule différence se résume en un seul mot : « prévision »..
En effet, si l’on observe globalement (avec ce que cela a de dangereux) les deux sociétés, les occidentaux ont une tendance à tout planifier et prévoir, ce qui n’est pas naturel chez beaucoup d’africain (surtout ceux du bled).
Là ou un occidental, sur une somme de 100, va en dépenser 80 et en mettre 20 de coté, l’africain aura tendance à dépenser 100 (ou encore à dépenser 20 et en envoyer 80 à la famille qui dépensera les 80 puis attendra le prochain envoi d’argent).
Certains l’expliquent par la différence de climat plus rude dans les contrées du Nord qui ont obligé les populations à prévoir et se préparer pour le passage des hivers parfois très froids et longs. C’est possible.
Cette constatation peut aussi avoir pour explication la mise en collectivité de toutes les ressources d’une même famille : pourquoi mettre de coté, puisque de toute façon je n’en profiterai pas vraiment ?
Ce qui est certain est que 10 personnes qui gagnent 1000 gagneront 10 000 à elle 10, et que, et c’est humain je pense, à partir du moment où chacune de ces personnes profite directement du fruit de son travail, elle cherchera à en gagner 1500, 2000, etc. A l’inverse, et c’est peut être la limite du système communautariste de la société Africaine, si un individu arrive à gagner 3000 mais qu’il doit en faire vivre 9 autres cela ne fera que 300 par personnes, et il ne cherchera pas forcement à en gagner plus puisque de toute façon il n’en profitera pas. C’est un simple reflexe humain, et même le plus altruiste des hommes aura plus ou moins consciemment cette tendance.
Pour être honnête je n’ai pas vraiment l’explication, je me borne à constater certains faits et j’essaye de les comprendre.

Chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Le système moderne occidental est sans doute plus performant économiquement, mais plus dur sur un plan humain et social : pas de pitié pour les faibles, pas de pitié pour ceux qui se retrouvent seuls (et cela arrive fréquement). A l’inverse, un Africain ne sera jamais seul tant que la famille sera là.
La meilleure solution : comme en toute chose : la voie du milieu. L’arc trop tendu cassera, et celui trop détendu ne pourra lancer la flèche.
JJ

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